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Produits phytosanitaires : les maires ne peuvent légalement en réglementer l'utilisation

Dernière mise à jour : 6 janv. 2021

Le Conseil d’État vient de mettre fin au vif débat jurisprudentiel, et politique, autour des arrêtés municipaux "anti-pesticides". Par une décision du 31 décembre 2020 (n°439253), il a rappelé que les maires ne disposent d’aucune compétence pour interdire ou réglementer l’utilisation des produits phytopharmaceutiques sur le territoire de leur commune. Cette compétence relève exclusivement des pouvoirs de police spéciale confiés à l’État.


Que s’est-il passé ?


1. À la suite de l'arrêté "anti-pesticides" du maire de Langouët (Ille-et-Vilaine), qui avait décidé, en mai 2019, de créer des « zones de non traitement » (ZNT) dans un rayon de 150 mètres autour des habitations et des locaux professionnels[1], un certain nombre de maires avait suivi ce mouvement en adoptant des arrêtés qui, pour la plupart, ont été suspendus et annulés. Quelques tribunaux avaient, néanmoins, validé ces arrêtés. Dans ce contexte, une clarification du Conseil d’État était attendue.


Cette clarification est intervenue dans une affaire portant sur la légalité d’un arrêté du 2 septembre 2019 par lequel le Maire d’Arcueil (Val-de-Marne) avait interdit l’utilisation du glyphosate et d'autres produits phytopharmaceutiques sur l’ensemble du territoire de sa commune pour l’entretien des jardins et des espaces verts des entreprises, des propriétés et copropriétés, des bailleurs privés, des bailleurs sociaux publics, des voies ferrées et de leurs abords, des abords des autoroutes A6a et A6b, et de l’ensemble des routes départementales traversant la commune.


Cet arrêté municipal ayant fait l’objet d’un déféré préfectoral, assorti d’une demande de suspension, le juge des référés du tribunal administratif de Melun avait suspendu son exécution[2], et la cour administrative d’appel de Paris avait confirmé cette suspension[3].


2. Dans cette affaire, et dans l’ensemble de ces affaires, se posait une question assez simple : le maire peut-il, en vertu de ses pouvoirs de police générale[4], réglementer l’utilisation des pesticides sur le territoire de sa commune, alors même que le législateur a par ailleurs confié cette prérogative à l’État ?


Sans grande surprise, le Conseil d’État a répondu par la négative et confirmé qu’en ce domaine, les maires ne disposaient, en l'état actuel du droit, d’aucune compétence pour adopter des arrêtés anti-pesticides.


Qu’a jugé le Conseil d’État ?

3. Le Conseil d’État a d’abord rappelé que le législateur avait « organisé une police spéciale de la mise sur le marché, de la détention et de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques » et que cette police spéciale avait été « confiée à l’État ».


En pratique, il revient à l’ANSES[5] de délivrer (ou de refuser) les autorisations de mise sur le marché (AMM), au Ministre de l’Agriculture d’édicter en complément d’éventuelles mesures d’interdiction ou de limitation de l’utilisation de ces produits phytosanitaires, et au préfet de prendre, en cas de nécessité, des mesures locales plus contraignantes (ZNT, chartes d’engagements, interdictions et restrictions).


Dans ces conditions, le Conseil d’État a estimé que si le maire était habilité « à prendre, pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques », il ne pouvait « légalement user de cette compétence pour édicter une réglementation portant sur les conditions générales d'utilisation des produits phytopharmaceutiques qu'il appartient aux seules autorités de l'État de prendre ».


Le Conseil d’État a ainsi confirmé que « le pouvoir de police spéciale des produits phytopharmaceutiques confié aux autorités de l'État faisait obstacle à l'édiction, par le maire de la commune, de mesures réglementaires d'interdiction de portée générale de l'utilisation de ces produits ».


Autrement dit, en l’état actuel du droit, les maires ne peuvent, en aucun cas, s’immiscer dans l’exercice de la police spéciale de la règlementation de la détention et de l’utilisation des produits phytosanitaires.


Que retenir de cette décision ?


4. Cette décision est cohérente avec la jurisprudence administrative antérieure : le Conseil d'Etat juge, de façon constante, que lorsque le législateur a confié à l’État des pouvoirs de police spéciale dans un domaine, les maires ne peuvent plus, en principe, intervenir en ce domaine en faisant usage de leurs pouvoirs de police générale.


C’est ainsi, par exemple, qu'il a jugé que l’existence de pouvoirs de police spéciale excluait l’exercice du pouvoir de police générale des maires dans les domaines de la circulation aérienne[6], de la culture d’OGM[7], des antennes relais[8], de la police spéciale de l’eau[9], ou encore, des installations classées[10].


5. Cette décision du Conseil d’État est particulièrement restrictive : en effet, aucune dérogation permettant au maire d’intervenir en matière d’utilisation des produits phytosanitaires ne semble pouvoir être envisagée.


Dans d’autres situations, le Conseil d’État avait pu admettre que, par exception, le maire puisse s’immiscer dans l’exercice d’une police spéciale d’État « en cas de péril imminent » (police de l’eau et installations classées) ou en présence de « raisons impérieuses liées à des circonstances locales » (crise sanitaire)[11].


En l’occurrence, comme il l’avait fait en 2012 quant à la réglementation de la culture des OGM, le Conseil d’État a clairement fermé la porte à toute intervention des maires en matière de détention et d’utilisation de produits phytosanitaires.


Jean-Baptiste Chevalier

Avocat à la Cour


[1] Un arrêté dont l'exécution avait été suspendue par le juge des référés du tribunal administratif de Rennes : JRTA Rennes, ord. 25 octobre 2019, Préfet d’Ille-et-Vilaine, n°1904029. [2] JRTA Melun, ord. 8 novembre 2019, Préfet du Val-de-Marne, n°1908137. [3] CAA Paris, 14 février 2020, Ville d’Arcueil, n°19PA03833. [4] Les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du CGCT donnent au maire le pouvoir de prendre les mesures de police nécessaires au bon ordre, à la sureté, à la sécurité et à la salubrité publiques. [5] Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. [6] CE, 10 avril 2002, Ministre de l’Équipement, n°238212. [7] CE, 24 septembre 2012, Ville de Valence, n°n°342990. [8] CE, Ass. 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis, n°326492. [9] CE, 2 décembre 2009, Commune de Rachecourt-sur-Marne, n°309684. [10] CE, 29 septembre 2003, Houillères du bassin de Lorraine, n°218217. [11] CE, 17 avril 2020, Ville de Sceaux, n°440057.

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