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  • Photo du rédacteurJean-Baptiste Chevalier

Crise sanitaire : les épandages agricoles sous surveillance

Dernière mise à jour : 22 mai 2020

Une association de défense de la qualité de l'air avait demandé au Conseil d'État de contraindre l’État à restreindre davantage les activités polluantes, et en particulier les épandages agricoles. Tout en rejetant sa requête, le Conseil d’État a invité le Gouvernement à prendre des mesures préventives en cas de risques de franchissement des seuils de pollution de l’air.

1. Par une ordonnance du 20 avril 2020 (n°440005), le Conseil d’État a rejeté la requête d’une association qui lui avait demandé de constater la « carence de l’État à réduire les épandages agricoles et les autres activités agricoles polluantes » et de faire appliquer immédiatement et jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, les mesures de restriction des épandages agricoles prévues par l’arrêté du 7 avril 2016 en cas d’épisodes de pollution.


Que réclamait l'association ?


2. En se fondant sur trois études scientifiques, l’association soutenait qu’il existait vraisemblablement « un lien étroit entre la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 et le développement et l’aggravation des maladies respiratoires et notamment du Covid-19 ». Au centre de ses critiques, l’association dénonçait « les épandages, auxquels procèdent actuellement les agriculteurs », en soutenant qu’ils « génèrent, d’une part, des particules fines nocives pour la santé humaine et contribuent, d’autre part, au dépassement des seuils réglementaires de pollution de l’air susceptible d’aggraver la pandémie ». Elle faisait par ailleurs valoir que les mesures prises par l’État pour lutter contre la pollution de l’air aux particules fines étaient insuffisantes. Ayant saisi le Conseil d’État d’un référé-liberté (art. L. 521-2 du code de justice administrative), l’association soutenait que cette carence de l’État portait une atteinte grave et illégale au droit à la vie et au droit à la protection de la santé des français.

Sur ce point, on rappellera que les procédures mises en œuvre en cas d’épisodes de pollution de l’air ambiant sont prévues par l’arrêté interministériel du 7 avril 2016[1] et qu’elles comportent deux seuils : d’une part, un seuil d’information et de recommandation, au-deçà duquel doivent être émises des recommandations pour protéger les populations et limiter certaines émissions, et d’autre part, un seuil d’alerte au-deçà duquel doivent être prises des mesures d’urgence.


De son côté, le Ministère de l’Agriculture soutenait que l’association ne démontrait pas le risque engendré par le niveau actuel de la pollution de l’air dû aux activités agricoles et que, par conséquent, aucune carence dans la réglementation des activités d’épandage ne pouvait lui être reprochée.


Qu'a jugé le Conseil d'Etat ?


3. En préambule, le juge des référés Conseil d’État a relevé que le système d’information et d’alerte actuel fonctionnait, en rappelant que depuis le 25 septembre 2017, 237 arrêtés préfectoraux mettant en place des mesures de lutte contre la pollution de l’air avaient été pris en France, et que 227 de ces arrêtés comportaient des mesures relatives aux pratiques agricoles. Il a par ailleurs observé que « dans un contexte de forte réduction des pollutions issues de l’activité industrielle et par les transports en raison des mesures de confinement de la population », le nombre de dépassement des seuils de pollution était moindre qu’en 2019 (avec 18 dépassements du seuil d’information au lieu de 21 et aucun dépassement du seuil d’alerte).

4. Statuant sur la demande de l’association, le Conseil d’État a ensuite considéré que les trois études produites n’étaient pas suffisamment pertinentes pour justifier une modification du cadre réglementaire actuel. Il a d’abord écarté l’étude chinoise de 2003, qui portait sur le SRAS et la pollution de l’air en général, notamment au dioxyde de carbone (et non seulement aux particules fines). Il a également écarté les études américaine et italienne de ce mois d’avril 2020, en relevant, pour la première, qu’elle se fondait sur « une exposition de long terme… de plusieurs années minimum », et pour la seconde, qu’elle portait sur des dépassements de seuils de pollution donnant déjà lieu, en France, à des mesures de restriction des activités polluantes.

En résumé, le Conseil d’État a donc considéré qu’il ne résultait pas de ces études que des mesures complémentaires de lutte contre les activités polluantes soient nécessaires. Il a donc estimé, a contrario, que le cadre réglementaire actuel était suffisant et qu’aucune carence de l’État, susceptible de porter une atteinte grave et illégale au droit à la vie et à la protection de la santé, ne pouvait être caractérisée.

5. Tout en décidant, par conséquent, de rejeter la requête de l’association, le Conseil d’État a ajouté une forme de « réserve d’interprétation ».


Il a en effet considéré qu’« il incombe à l’administration […] de faire preuve d’une vigilance particulière dans le contexte actuel d’état d’urgence sanitaire en veillant à ce que soit pris, au besoin préventivement en cas de menace avérée de franchissement des seuils, des mesures propres à éviter la survenue ou au moins à réduire la durée des épisodes de franchissement des seuils, notamment en limitant les pratiques agricoles polluantes, l’activité agricole demeurant, en raison de la très forte diminution des pollutions liées à l’industrie et aux transports, la principale source d’origine humaine d’émission de particules PM10 et PM2,5 avec celle provenant du secteur résidentiel, à plus forte raison dans la période actuelle d’épandage ».

Autrement dit, s'il a rejeté la requête dont il était saisi, le Conseil d’État a tout de même ajouté une obligation à celles résultant de l’arrêté du 7 avril 2016 : les préfets pourraient être tenus, au cours de la période d’état d’urgence sanitaire, non seulement de mettre en œuvre les procédures prévues en cas de dépassement des seuils d’information et d’alerte, mais également de prendre des mesures préventives en cas de simples risques de franchissement de ces seuils.


Jean-Baptiste Chevalier

Avocat à la Cour


[1] Cet arrêté interministériel a été pris en application de l’article L. 223-1 du code de l’environnement (lui-même issu de la loi sur l’air n°96-1236 du 30 décembre 1996) et de la directive européenne n°2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant.

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