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  • Photo du rédacteurJean-Baptiste Chevalier

Retard de paiement des aides à l’agriculture biologique : l’État condamné pour faute

Par un jugement du 2 juin 2021 [1], le tribunal administratif de Dijon a condamné l’État à indemniser un agriculteur bourguignon qui avait subi d’importants retards de paiement des aides à l’agriculture biologique entre 2015 et 2019. Il a reconnu que l’État avait commis une faute en ne procédant pas au versement de ces aides dans un « délai raisonnable ». C’est la première fois que la responsabilité de l’État est engagée pour ce motif.


Que s’est-il passé ?


Les agriculteurs français ont subi de graves retards de paiement des aides à l’agriculture biologique (CAB et MAB) et des aides agroenvironnementales et climatiques (MAEC) entre 2015 et 2019. Si les aides 2015 ont été versées plus rapidement (en 2017), les aides dues au titre des campagnes 2016 à 2018 n’ont souvent été soldées qu’en 2019, voire en 2020, avec deux à trois ans de retard. Ces retards ont semble-t-il été provoqués par la défaillance et l’obsolescence[3] du registre parcellaire graphique et des outils informatiques des services de l’État et de l’Agence de service et de paiement (ASP). Le Ministre de l’Agriculture avait, à plusieurs reprises, reconnu « une défaillance » [2], mais l’État s’était toujours refusé à indemniser les agriculteurs victimes de ces retards de paiement.


Dans cette affaire, un agriculteur bio, soutenu par le FNAB et défendu par le cabinet, avait saisi le tribunal administratif de Dijon pour demander l’indemnisation des préjudices financiers et moraux causés par les retards de paiement des aides bios qui lui étaient dues depuis 2015 et qui ne lui avaient été versées qu’en 2019 (à la suite d’un référé-provision).


Saisi de ce recours, le tribunal devait ainsi statuer sur le point de savoir si les retards de paiement des aides à l’agriculture biologique subis par cet agriculteur, et par de nombreux autres, étaient fautifs et s’ils étaient donc de nature à engager la responsabilité de l’État.


Qu’a jugé le tribunal administratif de Dijon ?


Sans surprise, le tribunal a d'abord refusé de se fonder sur les dispositions de l’article 75 du règlement UE 1306/2013 du 17 décembre 2013 instituant une date limite de paiement des aides[4] (au 30 juin de l’année suivant la campagne concernée), au motif qu’à la suite de modifications, cette date limite de paiement ne s’appliquait plus qu’à compter de la campagne 2019. Il a donc considéré que la date limite de paiement prévue par le législateur européen n’était pas applicable aux campagnes 2015 à 2018.


Cependant, pour accepter de mettre en jeu la responsabilité de l’État, le tribunal administratif de Dijon a reconnu que les services de l’État avaient l’obligation d’instruire les demandes d’aides agricoles et de procéder au paiement dans un « délai raisonnable ». Par suite, il a logiquement considéré qu’en l’espèce, les aides bios en litige (payées avec plus de deux ans de retard) n'avaient pas été versées dans un délai raisonnable. Il en a donc déduit que l’État avait bien commis une faute de nature à engager sa responsabilité.


Le tribunal a ainsi accepté de condamner l’État à indemniser cet agriculteur de ses préjudices financiers[5] et moraux. Une victoire importante pour cet agriculteur qui avait subi de lourds préjudices.


Que retenir de cette décision ?


Sur le plan contentieux, c’est la première fois qu’un tribunal reconnaît le caractère fautif de ces retards de paiement des aides bios et accepte d’engager la responsabilité de l’État pour ce motif. Alors que de nombreux autres agriculteurs bios ont subi ces mêmes retards de paiement, ce jugement pourrait être suivi par d’autres tribunaux.


Sur le plan juridique, c’est également la première fois qu’un tribunal reconnait aussi clairement que les services de l’État sont dans l’obligation de statuer sur les demandes d’aides agricoles dont ils sont saisis « dans un délai raisonnable »[6]. Cette obligation découle des principes de sécurité juridique et de confiance légitime.


Sur un plan plus général, ce jugement pourrait inciter l’État à revoir en profondeur le dispositif français d’instruction et de paiement des aides agricoles, en vue de la prochaine PAC 2023-2027, pour éviter que de telles défaillances ne puissent se reproduire.


Jean-Baptiste Chevalier

Avocat à la Cour



[1] TA Dijon, 2 juin 2021, EARL de l’E. c/ Ministre de l’Agriculture, n°1902151. [2] Notamment devant la commission des affaires économiques du Sénat, le 21 novembre 2018. [3] Par rapport à la réglementation européenne. [4] Cet article 75 prévoit que « les paiements au titre des régimes et mesures d’aide visés à l’article 67, paragraphe 2, sont effectués au cours de la période comprise entre le 1er décembre et le 30 juin de l’année civile suivante ». [5] Frais bancaires liés aux prêts relais ayant dû être souscrits pour faire face aux retards de paiement des aides [6] Néanmoins, le TA de Limoges s’était déjà référé au « délai raisonnable dans lequel l'administration doit statuer sur une telle déclaration » de demande d’aides (TA Limoges, 8 février 2007, Lagarde, n°0500547).

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