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  • Photo du rédacteurJean-Baptiste Chevalier

Recours indemnitaires et pécuniaires : la liaison du contentieux peut de nouveau intervenir en cours

Par un avis contentieux rendu ce 27 mars 2019[1], le Conseil d’État a précisé la portée des dispositions de l’article R. 421-1 du code de justice administrative, en indiquant que l’obligation de liaison du contentieux par une demande préalable dans les contentieux indemnitaires et pécuniaires était d’ordre public mais que cette liaison pouvait toujours intervenir en cours d’instance.


I. C’était l’une des modifications les plus emblématiques du décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016 portant réforme du code de justice administrative (JADE). Ce décret avait renforcé l’obligation de liaison du contentieux en matière de litiges indemnitaires et pécuniaires (requêtes tendant au paiement d’une somme d’argent), en prévoyant, à l’article R. 421-1 du code de justice administrative, que « lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle ».

Ces nouvelles dispositions semblaient imposer aux requérants de lier le contentieux avant l’introduction de leur recours indemnitaire ou pécuniaire, ce qui impliquait qu’ils saisissent préalablement l’administration d’une demande de paiement des sommes litigieuses et « obtiennent » une décision expresse ou implicite de rejet avant de saisir le juge administratif.


Ce nouvel alinéa de l’article R. 421-1 du code de justice administrative paraissait donc également avoir mis un terme à la jurisprudence Établissement français du sang[2], qui permettait aux requérant de lier le contentieux en cours d’instance, jusqu’à ce que le juge statue[3]. Il semblait qu’il n’était donc désormais plus possible de régulariser en cours d’instance le défaut de liaison du contentieux par l’intervention d’une décision administrative de refus d’indemnisation ou de paiement.    


II. Dans le cadre d’une demande d’avis contentieux, renvoyée par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne dans le cadre d’une affaire dans laquelle un couple avait présenté une demande indemnitaire préalable mais saisi le tribunal avant l’intervention d’une décision de rejet, le Conseil d’État a retenu une interprétation souple des nouvelles dispositions de l’article R. 421-1 en réadmettant que le contentieux puisse être lié en cours d’instance.

Le Conseil d’État a tout d’abord rappelé que l’irrecevabilité tiré du défaut de décision administrative préalable était d’ordre public, en affirmant qu’« en l’absence d’une décision de l’administration rejetant une demande formulée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au versement d’une somme d’argent est irrecevable et peut être rejetée pour ce motif même si, dans son mémoire en défense, l’administration n’a pas soutenu que cette requête était irrecevable, mais seulement que les conclusions du requérant n’étaient pas fondées ».


En l’absence de régularisation, ce motif d’irrecevabilité peut donc être soulevé d’office par le juge administratif.


Quant à la question portant sur la liaison des contentieux indemnitaires et pécuniaires en cours d’instance, le Conseil d’État a estimé que « les termes du second alinéa de l’article R. 421-1 du code de justice administrative n’impliquent pas que la condition de recevabilité de la requête tenant à l’existence d’une décision de l’administration s’apprécie à la date de son introduction », que « cette condition doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l’administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle » et que « par suite, l’intervention d’une telle décision en cours d’instance régularise la requête, sans qu’il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l’administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l’absence de décision ».


Il en résulte que la condition tenant à l’existence d’une décision administrative refusant d’indemniser un préjudice ou de payer une créance ne doit pas être appréciée à la date d’introduction de la requête, mais à la date du jugement de l’affaire. Cette irrecevabilité tenant au défaut de liaison du contentieux peut donc, de nouveau, être régularisée en cours d’instance, jusqu’au jour du jugement.


III. – Cet avis contentieux restreint donc assez considérablement la portée de la modification opérée par le décret JADE quant à la liaison des contentieux indemnitaires et pécuniaires. La seule modification notable, qui n’est pas remise en cause par l’avis, aura donc été de mettre fin à la liaison du contentieux par l’intervention d’un mémoire en défense au fond n’opposant pas de fin de non-recevoir.



[1] CE, Sect. avis, 27 mars 2019, Consorts R…, n° 426472.

[2] CE, 11 avril 2008, Etablissement français du sang, n°281374.

[3] v. aussi : CE, 25 avril 2003, SA Clinique Les Châtaigniers, n°238683, publié aux tables, p. 899 ; v. déjà : CE, 25 mars 1988, Ville de Lille, n°54411, publié aux tables, p. 943.

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