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  • Photo du rédacteurJean-Baptiste Chevalier

Autorisations d'exploiter : le préfet peut-il s'écarter de l'ordre des priorités du SDREA ?

Dernière mise à jour : 25 janv. 2022

Par un arrêt du 21 janvier 2022 (n°21NT01202), la cour administrative d’appel de Nantes vient de confirmer que le préfet avait la faculté de délivrer une autorisation d’exploiter à un agriculteur dont la candidature n’était pas prioritaire au regard des critères du SDREA. Elle a cependant précisé qu'il ne pouvait s’écarter de l’ordre des priorités du SDREA qu’à titre exceptionnel et si l’intérêt général ou des circonstances particulières le justifiaient.


Qu’est-ce que le contrôle des structures ?


Le système de contrôle des structures, qui a été mis en place par la loi d’orientation agricole de 1962, a pour objet de réguler l’accès des agriculteurs au foncier agricole, notamment pour éviter les concentrations de terres agricoles et pour favoriser l’installation de nouveaux agriculteurs.


Dans ce cadre, les installations, agrandissements et réunions d’exploitations agricoles sont soumis à une autorisation du préfet de Région, prise après avis de la commission départementale d’orientation de l’agriculture (CDOA), lorsqu’un seuil de surface exploitée est dépassé (20 ha en Bretagne).


Ainsi, en pratique, lorsque des terres agricoles sont "libérées" et peuvent être reprises, un avis d’appel à candidatures pour autorisation d’exploiter est publié. Les agriculteurs intéressés peuvent librement présenter leurs candidatures. Les candidatures sont appréciées par le préfet en tenant compte des orientations et des critères fixées par le schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA). Après avis de la CDOA, le préfet de Région peut délivrer une ou plusieurs autorisations d’exploiter. Ce n’est qu’à l’issue de cette procédure administrative que le propriétaire foncier peut conclure un bail rural avec l’agriculteur titulaire de l’autorisation d’exploiter.


Les modalités de ce contrôle des structures ont été sensiblement modifiées par la loi d’avenir pour l’agriculture du 13 octobre 2014, qui a notamment eu pour objet de définir plus clairement les cas dans lesquels le préfet peut rejeter une demande d’autorisation d’exploiter.


Que s’était-il passé dans cette affaire ?


Dans ce dossier, plusieurs demandes d’autorisations d’exploiter avaient été présentées pour la reprise de 54 hectares de terres agricoles situées sur le territoires de quatre communes costarmoricaines. Après quelques atermoiements, le préfet de la Région Bretagne avait fini par accorder deux autorisations d’exploiter, l’une à un agriculteur indépendant et l’autre à un GAEC.


La particularité de cette affaire tenait au fait que le préfet avait délivré deux autorisations d’exploiter alors même que l’agriculteur indépendant, qui souhaitait s’installer et reprendre un élevage de moutons en mode biologique, relevait d’un rang de priorité supérieur au regard du SDREA par rapport au GAEC concurrent.


Cet agriculteur avait donc contesté l’autorisation d’exploiter accordée au GAEC en soutenant que le préfet était tenu par les rangs de priorité et de sous-priorités fixés par le SDREA breton et qu’il ne pouvait donc pas légalement accorder une autorisation d’exploiter à un demandeur qui n’était pas prioritaire. En première instance, le tribunal administratif de Rennes avait rejeté sa requête, par un jugement du 1er mars 2021 (n°1900344).


Qu’a jugé la Cour ?


C’est dans ce contexte que, défendu en appel par le cabinet, cet agriculteur a saisi la cour administrative d’appel de Nantes pour solliciter l’annulation du jugement et de l’autorisation d’exploiter accordée au GAEC.


La Cour devait ainsi répondre à une question technique mais importante : celle de savoir si le préfet avait la possibilité de délivrer une autorisation d’exploiter à un agriculteur dont la candidature n’était pas prioritaire au regard du SDREA, et si oui, à quelles conditions.


Jusqu’à la loi d’avenir pour l’agriculture de 2014, le Conseil d’Etat jugeait de façon constante que le préfet était « tenu de rejeter » une demande d’autorisation d’exploiter lorsqu’un autre agriculteur était prioritaire au regard des dispositions du SDREA (CE, Sect. 28 juillet 1999, Le Fur, n°177406 ; CE, 20 mai 1996, Ministre de l’Agriculture, n°118194).


Mais cette loi de 2014 a modifié les dispositions de l’article L. 331-3-1 pour prévoir que l’autorisation d’exploiter « peut être refusée […] lorsqu’il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur ».


Sur le fondement de ces dispositions, la Cour a confirmé que le préfet avait désormais la faculté de délivrer une autorisation d’exploiter à un agriculteur non prioritaire, en jugeant que « les dispositions précitées n’interdisent pas au préfet de délivrer une autorisation d’exploiter à un demandeur, lorsqu’il existe une demande concurrente relevant d’un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des exploitations agricoles ».


La Cour a confirmé, sur ce point, une décision qu’elle avait déjà rendu en 2018 et par laquelle elle avait jugé que « les dispositions de l'article L. 331-3-1 du code rural et de la pêche maritime […] issues de la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt et entrées en vigueur le 15 octobre 2014 ne font plus obligation au préfet de refuser une autorisation d'exploiter dès lors que le demandeur ou le titulaire d'autorisation concurrent bénéficie d'un rang de priorité supérieur » (CAA Nantes, 8 juin 2018, EARL Ferme des Carneaux, n°16NT01951).


Mais la Cour a apporté une importante précision en ajoutant que « le préfet ne peut toutefois s’écarter de l’ordre des priorités prévu par le schéma qu’à titre exceptionnel et si l’intérêt général ou des circonstances particulières le justifient ».


C'est à la lumière de cette précision que la Cour a considéré qu’en l’occurrence, aucune des circonstances de fait invoquées par le préfet ne pouvait légalement justifier qu’une autorisation d’exploiter soit accordée, à titre exceptionnel, au GAEC dont la candidature n’était pas prioritaire. Elle a donc annulé le jugement attaqué et les décisions du préfet.


Que faut-il retenir de cette décision ?


En résumé, le préfet dispose certes de la faculté de délivrer une autorisation d’exploiter à un agriculteur non prioritaire au regard des dispositions du SDREA.


Mais il ne peut s’écarter de l’ordre des priorités fixés par le SDREA qu’à titre exceptionnel et à condition que cette décision soit précisément justifiée par un motif d’intérêt général ou par des circonstances particulières.


Cette condition réduit fortement la marge d'appréciation du préfet, qui doit donc, en principe, s'en tenir à l'ordre des priorités défini par le SDREA.


Cette solution peut être saluée en tant qu'elle préserve le pouvoir d’appréciation (relatif) du préfet tout en évitant de lui accorder un pouvoir discrétionnaire. Elle est conforme à l’intention du législateur de 2014 qui souhaitait à la fois « répondre à un besoin de transparence », « contrer le grief d’arbitraire » et « sécuriser juridiquement le contrôle des structures ».



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